Louis Miniggio et sa " ménagerie miniature " en 1910 au " Cirque Napoléon Rancy ". Oui, mais en comique....
A défaut de pouvoir s'acheter un cheval, Louis Miniggio se procura une mule, et ce fut avec celle-ci, rendue " savante ", qu'il se produisit sur nombre de pistes, dont celle de Napoléon Rancy en 1910.
Vous l'avez compris, Miniggio faisait partie de la catégorie de ce que l'on peut appeler des " clowns dresseurs ". Mais, avant d'être clown et dresseur, cet artiste, né en Belgique en 1858, et destiné à l'origine à devenir forgeron, fut tout d'abord trapéziste et acrobate. Dès sa plus tendre enfance, le jeune Louis aimait la gymnastique et s'exerçait avec ses camarades au trapèze. Un jour, alors qu'il se trouvait en Algérie, vint s'installer le cirque " Piatti ", dont il épousera d'ailleurs ultérieurement l'une des filles, et qui l'engagea de suite comme acrobate. Quelques années plus tard, il devint le porteur de la troupe de clowns acrobates et parleurs des Wareschi, où il demeura dix ans. Louis, l'aîné des Wareski - ils avaient modifié l'orthographe de leur nom au fil du temps - mourut brutalement à Avignon. Miniggio entra alors chez
" Fernando " où il tenta de proposer au directeur une entrée comique clown augustes. Mais, ni Fernando, ni Joseph Wareski, n'acceptèrent. De caractère indépendant, il se sépara de son partenaire et de leur élève amené à compléter le trio disloqué, et continua à travailler seul chez " Franconi ". Ce fut un peu plus tard qu'il fera l'acquisition de sa fameuse mule, et, s'attachant les services du nain Touroff, ils monteront tous les deux en Algérie ce numéro de dressage comique précédemment évoqué. Un jour, tandis qu'il se rendit dans une ferme pour y acheter du fourrage, Miniggio, que la malchance n'a jamais épargné, fut renversé par un mouton qui se jeta tête baissée contre lui. L'artiste proposa alors au fermier d'acheter son animal qu'il se mit à dresser , et une nouvelle fois, la parodie de la " course de taureau " (au singulier) avait trouvé des interprètes adéquats. Touroff, costumé en toréador, avait beaucoup de peine à tenir en équilibre sous les coups du mouton, et se livrait à d'extraordinaires culbutes. Seulement voilà, le succès du numéro fut rapidement interrompu quelque temps après. A Marseille en effet, où les deux compères s'en étaient retournés d'Algérie, le mouton se mit à dépérir, tout simplement parce qu'il ne recevait plus l'avoine et les toutes sortes de boissons que lui fournissait le personnel des cirques qui le chouchoutait. Il fallut alors soigner l'animal, et le vétérinaire consulté lui prescrivit un séjour au vert. Mais, la bête n'était plus habituée à séjourner en pâturages, et le remède la fit mourir au bout de quelques semaines. Louis Miniggio acheta alors un nouveau mouton, noir cette fois, qui, contrairement au précédent, était très lunatique, et attaquait seulement quand il lui plaisait. Touroff n'arrivait pas à le décider à foncer sur lui, ce qui amusait beaucoup le public, mais jusqu'à certaines limites. Le plus souvent, celui-ci, déçu, protestait et le numéro finissait sur un four. Evidemment, les directeurs avertis n'acceptèrent plus d'engager une telle attraction qui ne satisfaisait personne. Miniggio dût abandonner sa " course de taureau " à des concurrents qui la réussissaient mieux notamment avec un chien. C'est alors qu'il se mit à dresser une colombe et une corneille appelée Cocotte. Avec elles, il proposait le " le Renard et le Corbeau ", parodie de la célèbre fable de La Fontaine, qu'il présentait en général aux matinées enfantines. Mais là encore, la malchance s'abattit sur l'artiste. Recevant un jour une parente, tandis que Cocotte se reposait dans un fauteuil, se croyant en sûreté, celle-ci, qui n'avait pas l'habitude de vivre avec des bêtes, s'assit un peu brusquement sur le siège et écrasa l'oiseau qui rendit l'âme aussitôt..... Heureusement, il restait à Miniggio le numéro de la mule savante avec lequel il continua de se produire sur diverses pistes, bientôt rejoints par ses deux filles, Hilda et Henriette, qui deviendront des écuyères accomplies. La première avait débuté en 1898-1899 au " Cirque des Champs-Elysées " dirigé par Charles Franconi qui en cumulait la direction avec celle du " Cirque d'Hiver ". La seconde, après s'être associée un temps avec sa soeur dans un numéro de double jockey, se produira plus tard seule comme acrobate à cheval. C'est ainsi que le " Cirque Napoléon Rancy " accueillit le père et la fille en 1910. Louis Miniggio, outre sa mule " savante ", était alors devenu un clown de reprise, particulièrement bavard. Tandis que Henriette essuyait les applaudissements des spectateurs pour ses prouesses équestres, il amusait la public. Morceaux choisis:
- " Monsieur le Régisseur ", disait il, " je quitte le cirque, je m'en vais "
- " Vous partez ? "
- " Oui, le métier d'amuseur ne me plaît plus. Je suis l'auteur d'une invention qui va me rapporter
dix fois plus "
- " Qu'est-ce que c'est ? "
- " Pas grand chose "
- " Mais alors ? "
- " J'ai inventé un réveille-matin, un grande invention, un procédé
infaillible "
- " Oui "
- " Et c'est très simple ! Une bougie. Voici... J'ai calculé qu'il fallait dix heures à une bougie pour se brûler jusqu'au bout. Ma bougie est graduée. Vous vous couchez à minuit. Vous voulez vous réveiller à six heures. Vous coupez la bougie à la hauteur que vous vous voulez. Vous l'allumez. Vous la mettez dans votre bouche. Vous la laissez brûler. Le lendemain, à l'heure que vous voulez, vous sentez la chaleur et vous vous réveillez. Et çà y est, vous êtes debout. C'est à la porté de tout le monde. Et voilà ! "
- " Il s'agissait d'y penser...."
- " En effet "
- " Vous dites à la portée de tout le monde ? Ce n'est pas certain..... "
- " Et pourquoi ? "
- " Parce que moi, tenez par exemple, je ne dors pas sur le dos, je dors sur le ventre... "
- " Ah oui... "
- " Eh bien ? "
- " Eh bien ! Qu'à cela ne tienne..."
Miniggio s'approchait alors du régisseur et lui précisait à l'oreille ce que, sans le dire publiquement, tout le monde avait compris.
Plus tard, Louis Miniggio vendit sa mule et dressa des coqs anglais, auxquels il adjoindra des chiens. C'était un travail de patience, sans grandes ressources. Mais comme l'artiste avait le verbe facile et beaucoup d'esprit, il corsait son numéro en écrivant sur une pancarte cette phrase sublime légitimant parfaitement le travail de ses gallinacés: " Pour l'art affrontant les feux de la rampe, nous esquivons ceux de la rôtisserie ".
Magnifique et atypique Miniggio que la " Mémoire des Rancy " n'oublie pas.