Au moins, pouvait on dire de cet artiste qu'il n'avait pas une grosse concurrence. Il s'appelait Gus Epap, et il était déchireur de papier. Quand il se produisit au cirque " Houcke-Rancy " en 1932, ce n'était que la seconde année qu'il excellait dans cette discipline, lui qui, auparavant, avait été aide machiniste à l'" Empire " . Déchireur de papier, une spécialité aujourd'hui disparue des pistes et des scènes . Cela consistait à transformer en dentelles aux dessins compliqués de larges feuilles de papier vierge ou à colorier, tout ceci en quelques secondes . C'était à la fois puéril et énigmatique, mi charade , mi fleur japonaise se détendant dans l'eau , un peu " meccano " en quelque sorte . Sous ses doigts maniant et déchirant le papier, Erpap faisait donc naître des dentelles à inscription, des oriflammes, une échelle qui se dressait, une bande de joyeux marins apparentés à des bonhommes de pain d'épice, et cette Et cette dernière performance lui avait certainement inspiré le costume d'officier de marine d'opérette, accompagné à l'orchestre par les " Gars de la Marine ". Et aussi, connaissance très digérée du music-hall , l'artiste ne cessait d'appliquer à son travail une cadence dansante, une agitation du corps en correspondance avec la manipulation, un perpétuel sourire présidant à l'éclosion de cette flore de papier assez stupéfiante . Ce qu'il faisait était une très traditionnelle " variété ", et l'une de celles, modestes qui divertissait sans jamais atteindre la grande attraction. Gus Erpap la modernisait et la popularisait par le détail, le mouvement ou l'attitude personnelle. N'est ce pas ainsi qu'il faut procéder souvent dans l'art du cirque et du music-hall ? L'affirmation individualiste de l'artiste en quelque sorte ! Erpap était justement un exemple frappant de cette loi d'individualisme. Et justement parce que l'artiste en question n'était pas un routinier de sa vie artistique. Il valait encore mieux que son numéro en lui même quand on connaissait son passé qui n'était pas sans ironie du sort. Je l'ai dit plus haut. Erpap était machiniste à l'" Ancien Empire , mais il faut savoir qu'avant d'exercer cette profession , il avait été employé de bureau . Et que ce fut le chômage qui l'orientera vers le music-hall et, à fortiori, vers le cirque.. L'envers du décor le passionnait, et il en devint le flâneur perspicace de ses coulisses pittoresques et émouvantes. Assistant régulièrement aux répétitions, fréquentant les grandes vedettes, tel Barbette, Rastelli ou encore Grock, mais aussi les anonymes des troubles acrobatiques. C'est ainsi que Erpap commença à préparer un numéro de jongleur en secret, mais un soir, sans rien dire à personne, il bifurqua, et au " coup de crochet ", il présenta l'embryon de sa manipulation de papier, se fera huer autant qu'il sera plus tard applaudi, persévérant et s'embarquant dans la navigation internationale des scènes et des pistes, éprouvant chaque jour son travail et de perfectionnant devant tous les publics d'Europe, dans les plus petits comme dans les plus grands établissements, tel " Houcke-Rancy " en 1932.
Mots clés : Houcke cirque music-hall papier
Demain, deuxième article inédit consacré à un certain Géo Janny, artiste siffleur et imitateur