Après la " Ménagerie Laurent " et la " Ménagerie Lambert ", voici aujourd'hui une troisième grande ménagerie qui mérite d'être évoquée dans la " Mémoire des Rancy ", la " Ménagerie Bidel ", peut-être la plus célèbre et la plus prestigieuse d'entre toutes, celle aussi qui entretint les rapports les plus étroits avec les Rancy, puisque, comme chacun le sait, le belluaire débuta sa carrière au " Cirque Rancy " en temps que régisseur, avant de marier sa fille, quelques années plus tard, avec Alphonse Rancy, le fils du fondateur de cet établissement renommé.
Quand fut fondée exactement la " Ménagerie Bidel " ? On peut dire, sans trop se tromper, que ce fut le 15 août 1866 qu'eût lieu son véritable lancement à " Lyon-Perrache ". Elle devait vivre près d'un demi-siècle, et devenir entre-temps le plus bel établissement forain de ce genre. Bien sûr, en 1866, il ne s'agissait que d'un modeste " entresort ". Sa collection, si l'on peut utiliser ce mot, se composait d'un singe, grimacier de premier ordre, qui attendait les chalands comme pas un, d'un boa constrictor et de deux caïmans, l'un de petite taille, l'autre magnifique et mesurant près de trois mètres. Par malheur, le plus grand des crocodiles, arrivé à Marseille, trépassa. Sans s'émouvoir, ce n'était pas le genre du personnage, Bidel le fit naturaliser, si bien que le monstre semblait simplement endormi. L'exhibition, installée aux allées de Meilhan, s'était avérée particulièrement lucrative, et, grâce aux rémunérations faites dans la capitale phocéenne, La ménagerie s'accrût de nouveaux pensionnaires, un bison, un ours noir, des loups, et une belle lionne de l'Atlas, nommée Saïda. Cette dernière allait faire la fortune de son maître. Elle était, comme on dit dans le métier, une prodigieuse banquiste. Rugissant effroyablement, elle se jetait littéralement sur le belluaire, et s'arrêtait, gueule béante, à quelques centimètres de son visage. Alors, Bidel empoignait les mâchoires redoutables de la bête entre lesquelles il insérait froidement son bras. Plus tard, Il fit encore mieux, présentant à la lionne, un agneau vivant. Quoi qu'il en soit, le public accourait en masse. En peu de temps, la " Ménagerie Bidel " devint un établissement respectable et respecté. D'ailleurs, le jeune dompteur qui voyait tout en grand, avait su lui donner un confort respectable, inconnu jusque là dans les établissements forains. Le premier de tous, il recourut à l'emploi de la " cage-théâtre " où venaient travailler, devant le public confortablement assis, les fauves de la collection. Bidel lui-même, avait un grand succès, aidé par son physique avantageux. De stature moyenne, mais bâti en athlète, il offrait avec sa chevelure noire, son regard dominateur, sa voix impérieuse, le parfait type du belluaire. Victor Hugo, son ami, le surnommait, je l'ai déjà évoqué par ailleurs, " leo inter leones ", autrement dit " un lion parmi les lions ", et cette image valait toutes les descriptions. Au milieu de sa meute hurlante, le dompteur était lui-même un lion chevelu et rugissant. Sa ménagerie , déjà importante, allait encore s'augmenter de l'héritage maternel. Au printemps 1871, il reçut un télégramme d'Italie. Faïmali, le compagnon de sa mère, lui annonçait que celle-ci était mourante. Bidel partit, mais arriva trop tard pour recueillir son dernier souffle. Faïmali partagea alors sa collection avec son beau-fils, et lui proposa une association pour une tournée dans ce pays. Bidel accepta et reçut à Florence, un accueil inoubliable. A Rome, un employé de la ménagerie, nommé Venturelli, fut happé par un lion, et le belluaire lui sauva la vie en entant dans la cage les mains nues, ce qui accrut encore son aura. Aristocrate d'instincts, sinon de naissance, Bidel sut toujours tirer profit de ses entrevues avec les grands de ce monde qu'il croisa sur son chemin. Ainsi, en 1877, il donna une représentation de gala en Espagne en l'honneur d'Alphonse XII. Le Roi et la Reine y prirent un grand intérêt, et le souverain voulut se faire montrer tous les animaux les uns après les autres, demandant nombre d'explications. Entre sa tournée en Italie et celle d'Espagne, Bidel avait reçu la consécration parisienne. En 1873, il avait été l'objet d'un véritable triomphe à la fête de Neuilly, et résolut de s'installer dans la capitale d'une façon plus stable, jetant son dévolu sur un terrain vague situé derrière la Place du Château d'Eau, près des " Magasins Réunis ". Restait pour cela à convaincre le Préfet de Police de Paris, un certain Monsieur Gigot, réputé coriace, ce qu'il fit courageusement et avec succès. Dompter un Préfet de Police, même si ce ne fut pas son plus rude combat, ne constituait toutefois pas une mince victoire, et le téméraire belluaire aimait à s'en vanter particulièrement ! Ce plus rude combat, il le mena à Neuilly le 6 juillet 1886, face au lion Sultan. Bidel, ce jour-là, souffrait d'un pied, et glissa dans la cage. Tandis qu'il ne put se relever, Sultan attaqua son dompteur. Quand on put enfin venir au secours de celui-ci, on ne put que constater les dégâts, soit dix-sept blessures, au cou, à la nuque, aux épaules. Bidel fut trois mois alité. Lorsqu'il voulut reprendre ses activités, sans doute trop tôt, une attaque de paralysie faciale l'immobilisa alors durant près d'un an. Il en guérit cependant et pût reprendre ses tournées à travers la France. En 1902, à la suite d'une banale chute d'échelle qui le blessa grièvement, Bidel dut être amputé d'une jambe. C'était cette fois la retraite définitive du belluaire qui resta dans sa ménagerie , où il n'était plus désormais qu'un glorieux invalide. Sa mort, suivie de peu celle de sa compagne dévouée. Madame Bidel s'éteignit le 3 septembre 1909 à Asnières, son mari le 24 décembre de la même année, et la fameuse ménagerie qui s'était transformée en " Théâtre-Cinéma Zoologique ", universellement connue, fut, comme on le sait, vendue aux enchères peu de temps après.
Ménagerie. M comme Ménagerie Bidel : la plus importante de toutes les ménageries foraines (7 juin 2016)
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