C'était le dernier des grands funambules. C'est tout au moins ce qu'affirmait Tristan Rémy en 1946 à propos de Rover. Bien entendu, il y eût encore après lui, au cirque ou ailleurs, quelques autres grands noms du funambulisme - je veux parler évidemment ici du funambulisme à grande, voire très grande hauteur, d'artistes capables d'évoluer dans de grands espaces et souvent en plein air - mais le cercle est finalement assez restreint. Depuis Madame Saqui qui parcourut un câble tendu entre les deux tours de Notre-Dame, on pourrait citer, honneur aux femmes, Mademoiselle Lepic et Mademoiselle Malaga, et en ce qui concerne la gent masculine, Furioso, Blondin, Djelmako, et plus récemment, Henrys ou Philippe Petit, et puis des troupes mixtes comme celles des Traber, des Diables Blancs, des Stey, des Orsola, et évidemment des Wallenda. Différentes époques donc, mais il est vrai que le fil n'est-il pas l'élément qui unit ou relie toutes les générations d'artistes. Rover, lui, qui évoluait seul, suivrait volontiers les traces d'un Blondin ou d'un Djelmako. Vous allez comprendre pourquoi.
Français, comme ses deux prédécesseurs, plus précisément originaire de l'Aude, né en 1904, il était le fils d'un tapissier matelassier. Sa mère, en revanche, était déjà danseuse de corde et équilibriste à cheval. Aîné de cinq enfants, il dût à son oncle, funambule également, qui traversa entre autres les arènes de Nîmes, de choisir le métier qui le rendra célèbre. Rover débuta dans des acrobaties sur corde oblique qu'on appelle aussi " jeux japonais ". Chez " Pinder ", il commença à évoluer au-dessus de la cage aux lions. Mais, c'est certainement le numéro que Tristan Rémy vit en 1946 qui le rapprochait le plus de Blondin ou Djelmako. Après la traditionnelle traversée sur la corde tendue, " exercice très simple, mais de grande distinction ", disait Rémy, " Rover, habillé de rouge, s'étendait sur son fil dans la position du dormeur. Les changements d'attitude sont toujours périlleux dans l'équilibre. Il marchait en avant et en arrière, déployait un drapeau, s'asseyait sur une chaise qu'il plaçait lui-même, gambadait dans le vide, se mettait à genoux pour saisir des dents un mouchoir posé sur le fil, poussait devant lui une brouette, jouait de la trompette et battait de la grosse caisse en agitant les pieds, traversait une barrière de feu de quinze mètres de longueur, etc.... Tels étaient les exercices que le funambule réalisait, presque tranquillement. Puis, il disparaissait dans les flots lumineux d'un feu d'artifice jaillissant de son couvre-chef alors qu'il se trouvait au milieu de son câble. Il fallait un grand espace pour que le travail de Rover atteigne à la beauté. Cet espace, il le trouva notamment en 1935 au " Cirque Rancy ", installé aux Quinconces de Bordeaux, et en 1948 au " Palais des Sports " de la capitale. " L'artiste, d'une légèreté magique, semblait avoir des ailes ", ajoutait encore le " poète des clowns ", " et son assurance même rendait la tranquillité aux spectateurs qui, de le voir se promener si haut, pouvaient être angoissés ".
Lundi, jour de la Suisse dans la " Mémoire des Rancy ", disais je il y a quelque temps. Alors, pourquoi évoquer un artiste français aujourd'hui ? Eh bien tout simplement, parce que le passage, fut-ce t'il éphémère, de Rover chez " Rancy ", fut rappelé par la presse de ce pays lorsque le funambule, quelques mois plus tard, eût l'occasion de se produire au" Palais des Expositions " de Genève.
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