B comme Bouglione
Les relations entre " Bouglione " et " Rancy " ont souvent été assez chaotiques, oscillant entre "Je t'aime, moi non plus " et " Nous nous sommes tant aimés " !
Elles avaient pourtant bien commencé lorsqu'en 1934, Albert Rancy loua son nom aux quatre frères qui venaient de lancer sur les routes leur fameux " Buffallo Bill ". Ce second établissement " bouglionien " fut alors confié à Joseph et Rosa, tous jeunes mariés. Cet état de grâce devait se poursuivre jusqu'en 1964, l'année des débuts du " Cirque Sabine Rancy ". Cette année-là, " Bouglione " ne tournait pas et avait loué à la jeune directrice quelques uns de ses animaux dont les girafes et l'hippopotame, et même proposé son chef monteur, Monsieur Camille, descendant des Rech. Deux années plus tard, en 1966, c'est Sampion Bouglione en personne qui menait ses propres éléphants sur la piste de Sabine pour la fin de la tournée, lesquels allaient être présentés au cirque " en dur " de Rouen par Dany Renz pour la traditionnelle fin de saison. C'est encore au même " Bouglione " de fournir une cage de remplacement pour les lions évadés du malheureux Mike Baray au mois d'octobre de la même année. On retrouvera une seconde fois Sampion et ses pachydermes au départ de la tournée 1967 à Lyon, un engagement qui ne fut pas prolongé à la fois pour des raisons familiales, et d'autre part, en raison d'une certaine discorde.
C'est ainsi que cette même année, une violente contrecarre opposa les deux grands noms sur les côtes atlantique et bretonne, les deux cirques se suivant de très près dans leurs tournées respectives. Sabine Rancy ne proposant plus d'éléphants à son programme après le départ de Sampion, " Bouglione " en profita pour faire imprimer un lot d'affiches spéciales portant la mention " Un cirque sans éléphants n'est pas un cirque ".
Cela n'empêcha pas Joseph Bouglione d'être présent en 1968 à Versailles le soir de la première du " Cirque Rancy " dans cette ville, et pas n'importe quel soir, puisqu'il s'agissait de celui de l'accident d'Amédéo Gérardi. On dit même que le patriarche de la famille Bouglione se permit, non seulement de donner des conseils avisés au personnel pour tenter de sauver le malheureux dompteur, mais de pénétrer en personne, et non sans risque, dans la cage au sein de laquelle il perdit d'ailleurs l'équilibre .
L'année suivante, " Bouglione " vit d'un assez mauvais oeil la tournée de " Rancy " en Belgique, sa terre de prédilection, tout comme le contrat que Sabine Rancy signa avec l'ORTF, pour l'enregistrement de novembre 69 à mars 72, des émissions de la " Piste aux étoiles " au " Cirque Municipal " d'Amiens.
Sabine Rancy était fière de pouvoir présenter , au cours de ces mêmes années, Roland Prin, marié à l'époque à Josette Bouglione, propre soeur de Joseph, lequel connaissait il faut bien le dire, une certaine disgrâce au sein de la famille.
1973 connut une nouvelle contrecarre entre les deux cirques, qui devaient notamment se croiser dans la même ville de Lomme-les-Lille au mois de septembre. Pire, depuis 1972, " Bouglione " avait " raflé " à " Rancy " la ville de Lille au moment de sa célèbre braderie, cette dernière étant pourtant le véritable fief des Rancy depuis de très nombreuses années.
On imagine quelle fut la fierté de Sabine en 1974 de pouvoir placer le nom d' " Amar " sur ses affiches, sachant que celui-ci avait été de tout temps l' " ennemi public n 1 " des Bouglione.
Quand " Rancy " commença à décliner à partir de 1974, les relations entre " Bouglione " et " Rancy " s'apaisèrent. Il est vrai que les deux protagonistes ne jouaient désormais plus dans le même registre.
En 1979 cependant, l'année de l'association avec " Carrington ", et année de l'espoir aussi, une nouvelle contrecarre opposa cette fois Firmin Bouglione, nouveau propriétaire d' "Amar " à Sabine Rancy. Elle eût lieu à Lyon, la " ville Rancy " par excellence, les deux établissements s'y trouvant en même temps pour Pâques, le premier sur la Place du Huit Mai, le second à la Part Dieu. Sabine devait confier à un journal lyonnais: " Rancy arrive, les hirondelles aussi... Depuis 124 ans, nous venons à Lyon pour Pâques ! ". Si, sans doute, les torts étaient partagés, cette contrecarre n'améliora pas les relations de Sabine avec Firmin et son fils Alexandre.
On revit par la suite Joseph Bouglione sous la coupole du " Cirque Municipal d'Amiens ", au " Cirque Albert Rancy ", désormais dirigé par Claudy Renotte, où il assista, avec son épouse Rosa, à un spectacle mis en piste par Lil Massila en 1984. Il faut dire que Claudy avait toujours été un ami des Bouglione qu'il avait connus et appréciés dès les débuts du " Carrington Circus " en Belgique, et même avant déjà, je pense. On rappellera, à cet égard, que plusieurs véhicules " carringtoniens " provenaient des Bouglione, à commencer par la caravane de Claudy qui avait autrefois été celle d'Emilien. On citera aussi la " voiture caisse " du " Cirque Albert Rancy ", ancien véhicule destiné à la médecine du travail, et qui n'était autre que celle d'" Amar Bouglione ".
Malgré tous ces aléas, Sabine Rancy évoquait, encore peu de temps avant sa disparition, le nom de " Bouglione " avec toujours beaucoup de tendresse, comme si les vieilles rancoeurs du passé s'étaient éteintes. Elle aimait notamment rappeler l'hommage de Joseph Bouglione à Henry Rancy, son père, lors du décès de ce dernier: " C'est un des plus vieux et des meilleurs directeurs qui disparaît. Il était toujours très correct avec les concurrents....", ce qui, dans la bouche de " Monsieur Joseph ", monument du cirque, s'avérait être un " super-hommage ", et dans celle de Sabine, un super-compliment ! Vous aurez donc compris, en lisant ce texte, pourquoi, comme je le disais pour commencer, on peut affirmer que les relations entre les Bouglione et les Rancy oscillèrent, au fil des années, entre des " Je t'aime, moi non plus " et des " Nous nous sommes tant aimés ". Mais, n'en va t'il pas ainsi de bon nombre de circassiens !
Vous aurez remarqué que le nom de Gipsy Bouglione n'a toujours pas été cité dans cet article, car lorsqu'elle se produisit au " Cirque Napoléon Rancy " en 1962 et 1963 dans un numéro d'équilibres sur boules, ce ne fut pas sous son propre nom. Nous y reviendrons à la fin de la semaine, après avoir évoqué la veille son père Firmin, l'avant-veille son cousin Sampion et, pour commencer, dès demain, nous allons entrer dans le vif du sujet, avec deux monuments du cirque, Rosa et Joseph.