Il y a un seul cas de figure que nous n'avons pas évoqué, celui où les artistes ont toujours gardé le même nom et ce, quelle que soit la prestation qu'il effectuaient. C'était le cas des célèbres Bario. Que ce soit pour leurs entrées clownesques classiques, pour le numéro de claquettes qu'ils proposaient plutôt pour le cirque, mais aussi pour le music-hall, ou encore leur numéro d'instrumentistes virtuoses qu'ils présentaient en frac et robe de soirée, et réservaient plutôt à la scène, ils gardèrent toujours ce même nom, désormais mythique, qui était un pseudonyme, puisque le nom réel des Bario était Meschi :
Il n'est plus nécessaire de présenter les Bario: Henny, la belle dame clownesque, qui fut aussi la première femme à tenir le rôle de faire-valoir, toujours souriante, distinguée, ajoutant à son charme l'autorité, et dont le sourire se faisait complice de la joie des enfants. Elle contrastait avec les deux personnages farfelus qu'étaient Freddy, son mari à la ville, et son beau-frère Nello. Freddy, l'intarissable bavard, le gaffeur, sans cesse en mouvement, débordait de verve et était le roi des calembours. Nello, le silencieux, légèrement bègue et toujours à la traîne, faisait à ses côtés, figure de timide. Ce trio très complémentaire, était l'héritier d'une vieille tradition familiale née à la fin du 19ème siècle. A l'origine, les Meschi, véritable nom des Bario, n'étaient pourtant pas des enfants de la balle. Le père de Freddy et Nello, comme leur oncle du reste, était les fils d'un ouvrier maçon italien de Livourne qui, durant la mauvaise saison, fabriquait chez lui des accordéons. C'est par la musique qu'ils vinrent au cirque. Leur père et leur oncle avaient créé le duo des Dario-Bario, et rivalisaient en leur temps avec les célèbres Fratellini. Quant à Henny, de nationalité hollandaise, elle appartenait à une authentique lignée de circassiens, les Sosman. Ses parents, propriétaires d'un petit cirque, quittèrent les Pays-Bas pour l'Amérique du Sud, où une tournée de dix mois les attendait. Ils y restèrent sept ans. Henny regagna l'Europe en 1938 et se produisit dans les plus grands music-halls, jouant de très nombreux instruments, et faisant une éblouissante prestation de claquettes. C'est là qu'elle rencontra son mari. Plus tard, Freddy et Nello prirent la place de leur oncle, et le jour où papa Bario tomba malade, Henny prit la décision de remplacer son beau-père. Le succès des Bario ne devait jamais se démentir, aidé il est vrai par leurs fréquents passages à la télévision. Les Bario ont révolutionné l'art clownesque, le modernisant, transformant les textes, ajoutant des gag nouveaux, parodiant l'actualité et le monde contemporain avec des répliques percutantes et inattendues qui déchaînaient toujours des tempêtes de rire. Ils n'étaient pas seulement des clowns vedettes, mais aussi d'extraordinaires musiciens, d'authentiques virtuoses qui unissaient leurs talents dans un amusant numéro présenté dans les soirées les plus sélectes. Henny, ravissante dans de somptueuses robes portant la griffe des grands couturiers, Freddy et Nello métamorphosés, impeccables dans leurs fracs, enchaînaient les solos de clarinette aux duos et trios avec saxophone, alliant la nostalgie du concertina au rythme endiablé du rock'n roll. Une prodigieuse exhibition de claquettes s'y ajoutait, contribuant au triomphe de cette magnifique attraction.
Les Bario firent de nombreuses tournées tant en France qu'à l'étranger, dans les cirques les plus importants. " Rancy " fut évidemment de ceux-là, et même à plusieurs reprises. " Napoléon Rancy " en 1959, " Rancy-Carrington " en 1979 et 1981, " Albert Rancy " en 1982 et 1985, " Rancy " (Masson) en 1987, engagèrent le fameux trio. Ce dernier sera d'ailleurs l'une des toutes dernières occasions de les voir tous les trois réunis. Freddy disparaîtra le premier en juillet 1988. Nello nous quittera en 1999. Quant à Henny, après avoir accompagné en solo les galas de Shirley et Dino, elle se retirera des scènes et des pistes, et décédera le 24 décembre 2012. Elle eût la très grande douleur de perdre son fils Tony en 2007, lequel fut le talentueux chef d'orchestre du " Cirque d'Hiver Bouglione " depuis sa réouverture en temps que cirque en 1999 jusqu'au début de l'année 2006.
Avec les Bario, disparaissaient, en tout cas, ceux que l'on peut sans doute considérer comme étant les derniers grands clowns contemporains, des artistes inoubliables, rendus plus populaires encore par la télévision, et tout particulièrement par les émissions de Jean Nohain et Gilbert Richard à la fin des années 1969 et au début de la décennie suivante, ainsi que celles de Jean Richard, comme " 1,2,3, En Piste ", " Cavalcade Circus " ou encore " Quel Cirque ! " diffusée durant les vacances de Pâques 1969. Des artistes gentils aussi, et ce n'est pas exagéré que de le dire, car c'est la réalité. On ne peut pas forcément dire cela de tout le monde, loin s'en faut. Uniques, extraordinaires, légendaires, inimitables, indémodables Bario. Les qualificatifs ne manquent pas à l'appel pour caractériser ce trio. Et je pense, c'est tout au moins mon avis, qu'on peut le classer parmi les plus grands noms de l'art clownesque, si ce n'est peut-être même le plus grand.
C'est une semaine complète que nous allons consacrer à ce trio mythique qui a enchanté plusieurs générations d'entre nous et que nous continuons, de nos jours, à célébrer. Voici donc une " page " de la " Mémoire des Rancy " intitulée " Les Bario chez les Rancy ", dont on peut dire que c'est l'histoire d'une fidélité sans faille, puisque pratiquement aucun établissement ayant porté ce patronyme n'a omis de les faire figurer en bonne place au sein de leurs programmes....