Ce fut lors d'un séjour en Italie que James Buhot, jeune étudiant en architecture, fils du magicien Carrington et de sa troisième épouse épouse Manita, la " femme au cerveau étrange ", et qui, de fait, avait débuté dans la " profession " dès l'âge de neuf ans, rencontra celui qui allait devenir son ami et futur associé, un certain Claudy Renotte, originaire de Jolimont en Wallonie, lequel avait brièvement travaillé dans le milieu de la publicité à Lille, avant de devenir maître de ballet à La Louvière (B), et de finalement nouer une sérieuse idylle avec le monde du cirque au point de monter un numéro clownesque avec son premier partenaire Michel Baudemont, rencontré en Belgique lors de colonies de vacances, ce dernier en auguste (Marquis) et Claudy en " blanc " (Baron). L'entrée s'exporta rapidement dans la péninsule où, au contact de James Carrington, reconverti en fakir, Claudy apprit les bases de l'illusionnisme avant de s'illustrer lui-même dans le transpercement d'aiguilles, le crachement de feu, l'ingurgitation de lames de rasoir ou encore les sauts sur tessons de bouteilles. A l'inverse, James s'initiera à l'art clownesque, s'invitant dans le trio formé par Baron, Marquis et Carole, cette dernière étant aussi la partenaire de Claudy dans son numéro d'illusions. Une fois le contrat italien terminé, les deux rentrèrent en Belgique, furent engagés au " Wiener Zirkus " d'Ulrich et Irène Malter-Aspelag comme nous l'avons vu tout récemment.
C'est alors que l'idée de lancer sur les routes un établissement qui porterait le nom de James fut émise. Un vieux stock d'affiches qui datait encore du temps de la " Tournée Carrington " des parents de James, l'achat de quelques véhicules à remettre en état, la réunion d'un groupe de parents et amis, comme Paul Beautour, lequel fournit son chapiteau, et le " Carrington Circus " était né.
Les chapiteaux du " Carrington Circus " en Belgique entre 1970 et 1974
Et ce fut la Belgique, patrie de Claudy Renotte, qui fut choisie pour la première tournée du " Carrington Circus ". Le siège social était basé à Haine-Saint-Paul, rue Aubry, puis rue Jean Schyns, autrement dit le domicile de Marie et Joseph Renotte, les parents de Claudy. Quant aux quartiers d'hiver, ils se situaient à Sinai dans la Province d'Anvers. Les tous premiers programmes étaient essentiellement constitués de numéros de magie, Carrington oblige. Fakirisme, grandes illusions, manipulation, bref pratiquement tout ce que cet art pouvait fournir au cirque était au rendez-vous. A ces prestations, venaient s'ajouter des attractions de cirque pur au sol et dans les airs. L'art clownesque était aussi présent avec un numéro bien rôdé en Italie et en Belgique, celui de Baron (Claudy Renotte), Marquis (Michel Baudemont), James et Carole, et puis aussi avec Pompéo, allié à deux vieilles familles de cirque belge, celles des Herfs et des Saratos, et Bibi. Le dressage, quant à lui, était encore limité, James présentant ses premiers animaux, des oies. Un poney, Tino, était aussi de la partie, tout comme, occasionnellement, Joëlle Carrington, la demi-soeur de James, et Paul Beautour, son mari. Il y avait aussi le marionnettiste lillois Marcel Ledun. Ces premiers spectacles étaient d'ailleurs assez changeants comme en témoigne ces extraits de presse publiés ci-dessous.
Quelques affiches du " Carrington Circus " utilisées pour la belgique
Au fil des saisons, le " Carrington Circus " qui visitait aussi bien la Flandre que la Wallonie, gagnait en importance. De nouveaux compagnons de route avaient rejoint la tournée, comme Brigitte Mabire qui deviendra la compagne de James, ou Paolo Faïeta, un italien rencontré quelques années auparavant par Claudy dans un cirque de la Péninsule. D'autres, en revanche, allaient quitter le navire comme Willy Heryckx (Willy Athléty), l'homme fort, ancien barriste des Pétroff, ou bien Michel Baudemont, lui-même ancien trapéziste ayant appartenu à la troupe des Zemganno. La gente animale s'enrichissait de l'éléphant Micky et puis, en 1973, les fauves, et plus spécialement lions et ours, firent leur grande entrée dans la ménagerie, puis sous le chapiteau que les directeurs louaient désormais aux Fischer. Le " Carrington Circus " vit aussi son nom " évoluer au fil des années. " Carrington Junior ", " Continental Carrington ", " Carrington International ", " Magic-Show Carrington " furent les appellations successives de l'établissement. L'ordre n'est d'ailleurs peut-être pas exact. Ce fut à Lembeeck que l'entrée de cage de James fut présentée pour la première fois en public. Le numéro de l'ours écuyer, associant un cheval boulonnais répondant au nom de Moody, et un ours brun, Youli, n'allait pas tarder à faire son apparition sur la piste. Le succès du " Carrington Circus " en Belgique n'était pas mauvais, loin de là, mais l'idée, d'ailleurs émise dès les débuts, de tourner en France, faisait son chemin.
Quelques attractions du " Carrington Circus "
A la fin de la saison 1974, grâce à quelques amis nordistes, et en particulier à Marcel Ledun, évoqué plus haut, père de Nounours et autres Nicolas et Pimprenelle de " Bonne Nuit les petits ", l'émission de télévision créée par Claude Laydu, la troupe rejoignit la capitale des Flandres et son Esplanade du Champ de Mars, afin d'y passer l'hiver, un hiver riche en engagements, notamment pour les spectacles " Circorama " de l'agence de Guy Masson. Tandis que les deux directeurs du " Carrington Circus " envisageaient de plus en plus sérieusement une tournée dans le Nord Pas-de-Calais, et peut-être davantage, le cirque s'apprêtait à passer une année sabbatique au zoo d'Englos dirigé par un autre ami, Marcel Dhénin, un journaliste lambersartois, grand ami des animaux, responsable de la rubrique " Cirque " du quotidien " La Voix du Nord " et créateur de l'association " Animavia " qui tenait chaque année son salon dans la région lilloise. Le cirque disais je, mais pas ses directeurs, qui allaient trouver des engagements divers, au salon " Animavia " précisément au mois de févier, puis chez " Sabine Rancy " notamment, pour James et ses fauves, engagement entrecoupé par un intermède avec le podium d'été du grand quotidien nordiste" La Voix du Nord " en juillet et août, en Tunisie pour Claudy qui rejoignit à son tour le podium d'été de " la Voix du Nord " où il côtoya l'imitateur Yves Lecocq, puis le " Cirque Sabine Rancy " en fin de saison 1975, et en particulier à Rouen. Il me faut ici évoquer l'imprésario lillois Jean-Pierre Panir qui, ayant entendu parler favorablement en 1973 du " Carrington Circus " en Belgique, se rendit un jour dans une ville de ce pays où l'établissement était installé, pour assister au spectacle. Emballé par le numéros de fauves, mais surpris par la vétusté des réquisits et de la cage, Panir proposa à James un engagement en novembre pour son " Cirque de la Voix du Nord ", moyennant un cachet réduit compte tenu de sa notoriété inférieure à celle des autres artistes programmés, mais lui promettant en contrepartie une rénovation de son matériel (cage et réquisits). Deal accepté, James Carrington fut donc l'une des attractions du rendez-vous lillois annuel créé en 1955. Et il se trouve que dans la salle, un soir, se trouvait le Docteur Alain Frère, déjà célèbre médecin généraliste, circophile et collectionneur invétéré. Ce dernier, remarquant l'entrée de cage du dompteur, l'invita d'emblée à participer au tout premier " Festival International du Cirque de Monte-Carlo" qui se tiendrait au mois de décembre 1974 et où il obtiendra le " Grand Prix du Cirque ". A tout cela, il fallait aussi ajouter l'enregistrement au " Cirque d'Hiver " de quelques éditions de la célèbre émission " La Piste aux Etoiles " permettant au passage de nouer des liens d'amitié avec son emblématique animateur, Roger Lanzac. Fort de cette notoriété nouvelle, et retour dans le Nord, l'idée de tourner en France avec son propre établissement germait plus que jamais dans son esprit tout comme dans celui de Claudy Renotte.
Au mois d'avril 1976, après avoir donné plusieurs représentations de " rodage " sur le parking de l'hypermarché d'Englos, tout proche du zoo, où se trouvait son matériel et ses animaux, il décida, avec son associé et aussi avec Fernand Coucke, à la tête d'un grand commerce d'ameublement, mais qui était aussi le président des magiciens du Nord, de se lancer dans cette fameuse tournée nordiste sous le nom de " Coucke Carrington " dans un premier temps, avant de prendre le nom de " Cirque Carrington " tout simplement.
Lille, et son " Esplanade du Champ de Mars ", sera la première ville visitée avant de rejoindre Roubaix, Croix, Roncq, Linselles, et j'en passe. Nombre de cités, petites, moyennes et parfois plus grandes furent ainsi visitées jusqu'au mois de novembre. Durant l'été, le cirque se produisait dans les stations balnéaires de la Côte d'Opale avec, parfois, un double passage, une fois pour les juillettistes, une fois pour les aoûtiens. En ce qui me concerne, je vis le " Cirque Carrington " à Lambersart le 28 mai 1976, jour de mon anniversaire. J'avais été agréablement surpris, voire charmé par la propreté des convois repeints, en jaune et bleu, et de l'environnement du chapiteau. Quant au spectacle, s'il n'atteignait évidemment pas ceux des grands chapiteaux voyageurs, il tenait la route. Le voici d'ailleurs au grand complet :
Les différentes prestations des " artistes maison " du " Cirque Carrington " juste avant la tournée française de 1976
L'arbre de Noël 1976 du 43ème R.I. de Lille sous le chapiteau " Carrington " sur l'Esplanade du Champ de Mars avec sa célèbre fanfare dirigée par l'emblématique Commandant Philibert
Après le succès de 1976, et bien conscients qu'il était difficile de se produire deux années consécutives dans les mêmes villes d'un territoire sommes toutes limité, mais qu'il était peut-être un peu prématuré d'étendre leur champ d'action à d'autres contrées voire à toute la France, James et Claudy choisirent de n'effectuer qu'une tournée d'été sur la Côte d'Opale, sensiblement équivalente à la précédente. Au programme de 1977, figuraient notamment les " fabuleux Palacys ", comme le disait si bien Claudy, avec leurs deux numéros, le cadre aérien et les chiens esquimaux. De nouveaux venus étaient aussi arrivés, telles les soeurs Kurtis (Klimond) et leur père Kurt, Zdravko Pezut, le yougoslave, l'électricien qui " jouait " avec les fauves, les Lestienne, d'anciens forains du maubeugeois, qui allaient bientôt prendre en mains les ours, ou encore le tout jeune Mario Masson. A la fin de la saison, ce fut à Godewaervelde que je vis les Carrington au cours d'une soirée inoubliable pour moi, celle du 6 septembre, soirée qui, à la veille du début de mes études de médecine, m'avait fait rencontrer Jean Quentin-Palacy, mais aussi Jacques Mussier (l'auguste Gin) venu en voisin du Mont des Cats, et quelques autres membres de la troupe qui, depuis quelques mois, s'était installée à deux pas de mon domicile de l'époque, à Boeschèpe très précisément au lieu-dit " Abeele ", dans une zone frontalière avec la Belgique flamande. Inutile de dire que les quelques rares moments de liberté que m'offraient mes études, étaient consacrés à des allers et retours en ce lieu qui a contribué à asseoir ma passion du cirque. Je connaissais, dès lors, toute l'actualité de l'établissement qui allait vivre une saison 1978 intense qui serait aussi celle de la découverte d'autres régions que la mienne.
Les affiches du " Cirque Carrington " en France
A l'initiative de Philippe Crépel, ancien coureur cycliste professionnel et futur directeur du " Grand Palais " de Lille, auquel j'ai déjà consacré un article de ce blog, et qui, à l'époque, travaillait pour le compte de " La Redoute ", le " Cirque Carrington " se risqua dans le Sud de la France aux mois d'avril et mai 1978. A cette occasion, un orchestre de quatre musiciens, celui de Pierre Carrière, et surtout un animateur célèbre, Roger Lanzac, furent engagés tout spécialement. Après un bref retour à la remise boeschepoise, le cirque entama ensuite une troisième tournée nordiste des plages de la Côte d'Opale. Ce fut dans la petite commune frontalière de Steenvoorde que débuta cette tournée estivale qui devait se terminer, comme à son habitude, à la fin du mois d'août. Le programme comportait des numéros bien connus, comme celui de chimpanzés de Constant et Laurette Rech déjà présents en 1973. Le reste du spectacle était composé des artistes maison, à l'exception des Lestienne et de Zdravko engagés pour la saison chez " Achille Zavatta ". 1978 sera aussi celle de la participation du numéro de l'ours écuyer au " Gala de l'Union des Artistes ", numéro qui sera présenté par le champion hippique Marcel Rozier.
Le " Gala de l'Union des Artistes " 1978 avec l'ours écuyer de James Carrington présenté par le champion hippique Marcel Rozier, ici en compagnie des comédiens Jean Rochefort et Patrick Dewaere
Après une fin de saison faite de galas divers, et notamment celui de l'arbre de Noël du 43ème R.I. de Lille, honoré pour la troisième fois, et puis aussi, en novembre, une participation au " Festival du Cirque de Créteil-Soleil ", cher à Pierre Guillermo, le " Cirque Carrington ", toujours désireux de se développer et d'étendre ainsi son aura, entra en contact avec Sabine Rancy avec laquelle une rencontre avait été organisée à Rouen au mois d'octobre. Interdite d'utiliser la raison sociale " Cirque Sabine Rancy ", consécutivement à la cessation d'activités tragique du mois de juin 1978 et résidant désormais en Italie, elle avait monté dans la capitale normande un " Chapiteau Sabine Rancy " pour respecter une promesse faite l'année précédente et tenter tant bien que mal de maintenir une vieille tradition familiale en Normandie. Désormais domiciliée dans ce pays, Sabine n'avait pas totalement renoncé au voyage. Aussi, cette rencontre avec James Carrington et Claudy Renotte était donc la bienvenue. Il s'agissait, en effet, pour " Carrington " de se développer, et pour Sabine d'assurer la survie de son nom. C'est ainsi que l'association " Sabine Rancy-James Carrington ", pleine de promesses, vit le jour au mois de mars. Après une sorte de répétition générale à Godewaervelde, la tournée débuta officiellement le lendemain à Roubaix. Avec une première partie très " carringtonienne ", la seconde " La Féérie à Bornéo " rappelait la " Féérie au Népal " de 1968 avec toutefois beaucoup moins de faste. Et puis, il n'y avait qu'un unique équidé au programme, ce qui était bien peu pour un nom comme " Rancy ". Il était d'ailleurs assez pathétique de voir la grande " Dame du Cirque " qu'était la fille de Tilly et Henry Rancy ", avec un seul cheval, sous un aussi petit chapiteau et sur une aussi petite " place ". En revanche, Sabine n'avait rien perdu de son autorité légendaire. Les garçons de piste et le public du premier soir doivent encore s'en souvenir. Malheureusement, au bout de quelques semaines, des tensions apparurent entre les deux protagonistes jusqu'à ce jour du mois de mai où le point de rupture fut atteint à Courpières dans le Puy de Dôme, favorisé par un événement, le décès de Sarah Caryth, épouse d'André Rancy, laquelle était détentrice du nom " Cirque Rancy " sans prénom, mais cela est une autre histoire. Si vous êtes un fidèle de " La Mémoire des Rancy " ou un afficionado de ce patronyme, il n'est sans doute pas nécessaire de la développer davantage ici. Je dirai simplement que le nom de " Carrington ", sans Claudy Renotte, désormais séparé de James, après avoir été associé à celui de " Rancy ", le sera à celui de " Jean Richard " au temps de Gilbert Edelstein, puis d'" Amar " dont le propriétaire était Firmin Bouglione, avant de disparaître définitivement, et à mon grand regret, un soir d'octobre 1985 à Rouen, victime d'un contrôle fiscal malencontreux dont on peut de demander s'il n'avait été prémédité. Dans le milieu du cirque, comme vous le savez, les vieilles rancoeurs ne s'effacent jamais....
L'équipe dirigeante du " Cirque Rancy-Carrington " en septembre 1979 au Havre. de gauche à droite, Lois Bernard, Manita Carrington, James Carrington, Albert Rancy, denise Rancy, Claudy Renotte et Christian Oger