Le " Radio-Circus ", le " Circus 58 ", mais encore le " Britannic Circus " des Beautour dont nous avons récemment parlé, ou le " Star Circus " des Robba, voilà autant de noms qui nous rappellent le Royaume Uni. Un autre nom nous évoque également l'Angleterre, celui de " Carrington ". C'est celui d'une ville. C'est aussi le titre d'un film. C'est également le patronyme de maintes personnalités du monde politique, sportif, artistique (musique, littérature, peinture, cinéma), scientifique aussi, notamment dans le domaine de l'anthropologie et de l'astronomie. C'est encore le nom de personnages d'une célèbre série télévisée, " Dynasty ", mais là, cela nous ramène cette fois aux Etats Unis. Et puis, Carrington, c'est enfin le pseudonyme d'une fameuse famille lovérienne attachée au monde de l'illusion et du cirque :
Carrington, un nom à la consonance britannique et pourtant bien de chez nous....
A l'origine, Joseph Buhot, dit " le prince des illusionnistes ", enfant naturel qui, lorsqu'il vint au monde le 29 novembre 1895 à Quatremare entre Louviers et Le Neubourg, porta d'abord le nom de Letellier, celui de sa mère. Et ce ne fut que quelques années plus tard, au mariage de celle-ci, qu'il prit celui de Buhot, son beau-père l'ayant reconnu. Fils unique, il est d'abord élevé par son oncle et sa tante, sa mère travaillant dans les fermes des environs. Bien qu'élevé à la dure, le petit Joseph adorait sa mère, une maîtresse femme. Tout jeune, il commença à travailler lui aussi dans des fermes avant que l'un de ses oncles - sa mère avait six frères - qui travaillait à la " Pharmacie Louvel " d'Elboeuf, le fit entrer comme commis. Il avait alors une quinzaine d'années. A son tour, il deviendra préparateur en pharmacie. Quand il ne travaillait pas, Joseph avait souvent le nez plongé dans des livres de magie et de prestidigitation. Il commence par ceux de Robert Houdin, puis il fera venir des ouvrages des Etats-Unis, tant le monde du mystère le passionnait. Avec ses économies, il achètera ses premiers ustensiles juste avant que ne survint la Grande Guerre. De la classe 1915, il sera très rapidement appelé au front où il servira comme brancardier. Son comportement lui vaudra de revenir avec de nombreuses médailles. Puis la vie reprendra son cours: la pharmacie dans la journée, la magie le soir... et la boxe aussi qu'il pratiquera au " Boxing-Club d'Elboeuf ". Ses premiers passages au " Cirque-Théâtre " seront donc en short, gants au poing.... Mais c'est un prestidigitateur né, et, le 2 avril 1923, il donnera sa première représentation à La Haye-Malherbe, devant une soixantaine d'amis venus l'applaudir avec succès. Dès lors, on le verra dans toutes les salles de la région. Avec un ami, Jules Couture, ils commenceront à étendre leur champ d'action. Mais il fallait payer la salle, la voiture à chevaux. aussi, durant quelque temps, Joseph continuera à travailler à la " Pharmacie Louvel " la semaine, et il se produira en spectacle le dimanche. très vite, le succès grandissant, il décida de se jeter à l'eau et de se consacrer uniquement à la magie sous le pseudonyme de Carrington, un nom qui sonne bien et qu'il avait trouvé dans l'un de ses livres de magie. Il le troquait sans regret contre celui de Buhot. Ayant acheté le matériel nécessaire, la troupe qu'il avait montée, se lança sur les routes de France. Les galas de bienfaisance étant d'abors son tremplin, bientôt la Bretagne devint son champ d'expérimentation, et, non content d'être un illusionniste " engagé ", il devint un " artiste engageant ", autrement dit un directeur de compagnie. La première partenaire de Carrington était alors une certaine Maud Farrer, avec laquelle il ne resta que dix-huit mois, et qui lui donnera une fille, Josette. Puis ce sera Juanita, rencontrée en tournée, qui l'accompagnera dix ans et participera à l'évolution de la compagnie. Très rapidement, Carrington se fera un nom dans le métier et dans le monde du spectacle. Ses tournées, semées d'escales dans des villes de province les plus reculées comme dans les plus grandes cités et capitales, furent souvent pimentées d'aventures pittoresques. il fallait alors voir s'arrêter cette caravane, qui était constituée d'un camion de trois tonnes tandis qu'un haut-parleur vantait les mérites du spectacle " jamais encore vu" dans la ville avec en vedette " The Great Carrington ", le " maître de l'illusion ", celui qui " étonne, stupéfie, émerveille, intrigue, charme, déconcerte " les spectateurs les plus blasés au cours d'un spectacle de trois heures. Il fallait voir le déchargement des malles, plus ou moins mystérieuses, des décors orientaux, des bagages bizarres d'où s'échappaient soudain la carabine du plus fort tireur du monde, le cercueil de l'enterré vivant, une main semblant humaine mais qui ne s'animait que sous le feu des projecteurs, etc.... Il fallait voir toute la troupe sur scène ou sur piste, car Carrington, auprès duquel Manola qu'il épousera et avec qui il eût une seconde fille, Joëlle, avait succédé à Juanita en 1936, après avoir eu son propre chapiteau, l'" Empire Circus ", hélas anéanti par une tempête le 25 juillet de cette même année, passa également dans les plus grands cirques voyageurs ou non, " Amar ", " Médrano ", " Beautour ", et aussi...." Bouglione ". C'est justement au " Cirque d'Hiver " que Joseph Carrington rencontra en 1945, celle qui, après Manola qui dans l'intervalle l'avait quitté pour un FFI, allait devenir plus tard sa troisième femme. Fille d'une autrichienne et d'un médecin turc, celle-ci avait tout juste vingt ans. Carrington l'avait d'abord rebaptisée Manolita, en souvenir de Manola, mais cela ne faisait pas plaisir à la jeune femme. Aussi, rapidement, cette dernière devint Manita.... Leur passion commune pour la magie, et les dons de voyance de Manita, les rapprocha un peu plus, et le couple se maria, déguisé en fakir, un beau coup de pub.... Manita, de son vrai nom Victoria, mettra au monde James en avril 1950, troisième et dernier enfant de Joseph Buhot-Carrington et seul fils de celui-ci. Durant vingt-six années, l'illusionniste le plus célèbre de France et la " femme au cerveau étrange " arpenteront les routes de l'hexagone et même souvent au-delà. Il s'arrêtera d'ailleurs au " Cirque M. Rancy " (direction Bureau-Glasner) en 1946. Le couple rentrera à Louviers, boulevard Saint-Germain, où il résidait, seulement l'hiver, dans une maison acquise entre les deux guerres. En 1954, Carrington fonda la revue " Scènes et Pistes " qui obtiendra un grand succès. Dès 1932, convaincu par les bienfaits du sport pour la santé après un séjour à Berck, il créera à Louviers le fameux " Challenge Carrington ", seulement interrompu par la guerre. Carrington, qui avait une santé fragile, décéda le 16 mai 1971 à l'hôpital d'Evreux, d'une crise d'urémie. Il repose au cimetière de Quatremare dans le caveau familial. Manita, qui l'a rejoint tout aujourd'hui, continua alors avec ses enfants, à faire vivre son nom, notamment sa fille Joëlle, mariée à Paul Beautour, trapéziste à l'origine, puis dresseuse de caniches, et, bien sûr, son fils James, qui créera en 1970 son propre établissement, le " Cirque Carrington ".
Nous terminons donc la semaine avec le nom " music-hallien " et circassien de " Carrington ", et c'est encore avec celui-ci que nous allons le commencer la suivante....