De magnifiques portes en acajou s'ouvrant sur des rangées de fauteuils en bois à l'assise escamotable, des rampes d'escalier et des poignées en cuivre rose, un plafond " années 30 ", des lustres géométriques " 1925 " de toute beauté, une scène encadrée de piliers en stuc et surmontée d'un bas-relief représentant une locomotive.... Voilà ce que vous ne verrez plus si vous allez aujourd'hui au 21, rue Toudic, autrement dit à l'" Alhambra " de Paris. Seul vestige de la construction d'un " ciné-théâtre " ouvert en 1933, mais ayant, en réalité, rarement servi, un escalier monumental menant au balcon et au foyer. Ce " ciné-théâtre " avait été construit par l'architecte Hoppe au sein d'un immeuble à usage de bureaux. En 2005, un producteur de spectacles, Jean-Claude Auclair, le découvre presque par hasard, tomba amoureux de ce lieu et le racheta afin d'en faire un complexe événementiel modulable capable d'accueillir depuis des concerts et des spectacles bien sûr, mais aussi des salons, des cocktails dinatoires, etc.... Il baptisa ce lieu " Nouvel Alhambra " du nom d'un célèbre music-hall voisin, situé au 50, rue de Malte, lequel fut démoli en 1967. Cet " Alhambra " là, qui fut un temps accolé au nom de Maurice Chevalier, avait été inauguré en 1904, faisant suite à un cirque, le " Cirque Impérial " de Bastien-Franconi, inauguré en 1886, faisant lui-même suite au " Cirque Olympique " des Frères Franconi dont l'ancienne salle avait été détruite. En faillite au bout d'un an d'exploitation, le " Cirque Impérial " devint " Théâtre du Prince Impérial " qui ne connut pas davantage de succès, avant qu'un certain Hippolyte Cogniard, alors directeur des " Variétés " ne l'acquiert en 1869 pour son fils Léon qui en fit le " Théâtre du Château d'Eau ", repris par Hippolyte à la mort prématurée de son fils en 1870. Cet établissement fut repris cinq années plus tard par Eugène Dejean qui le mena à nouveau à la faillite. lui succédèrent alors, toujours sans grand succès, l'auteur dramatique Jules Dornay, Ulysse Bessac, et enfin, en 1883, Georges de Lagrenée qui y présenta comme ses prédécesseurs du théâtre, de l'opéra comique et de l'opéra. Successivement " Opéra Populaire " et, à nouveau, " Théâtre du Château d'Eau " en 1900, sous la direction de Victor Sylvestre, également directeur des " Bouffes Parisiens ", un nouveau bilan fut déposé jusqu'à ce qu'en 1904, sous l'impulsion d'une société menée par l'anglais Thomas Barrasford, une nouvelle orientation en vogue, nommée music-hall, venue des Etas Unis, fut donnée à l'établissement d'abord nommé " Alhambra Limited ", qui deviendra rapidement " Alhambra " tout court, un lieu qui ira même jusqu'à devancer ses aînés comme l'" Eldorado ", la " Scala " et surtout l'" Alcazar ". De nombreux artistes allaient dès lors occuper la scène de l'" Alhambra ", des chanteurs bien sûr, comme Yvette Guilbert, Fragson, Paulin, Dalbret et, bien entendu Mistinguett et Maurice Chevalier, fidèle parmi les fidèles de cette salle, auquel il donnera son nom comme je le soulignais plus haut et le rappellerai une nouvelle fois plus loin dans le texte, des comédiens comme la célèbre Sarah Bernhardt, des magiciens tel le grand Houdini, des artistes de cirque aussi comme Grock ou les Bouglione. Le 21 avril 1925, l'" Alhambra " fut entièrement détruite par un incendie. Reconstruite par l'architecte Guimpel avec davantage de luxe encore, elle fut alors dirigée par Messieurs Black et Gulliver dans un style " Art nouveau " et ouverte en 1932, alternant sur sa scène des présentations de music-hall toujours, auquel vinrent s'ajouter du cinéma et de l'opérette. Au fil des années, le public y acclamera maintes vedettes de variétés toujours, tels Suzy Solidor, Pola Negri, plus tard l'immense Edith Piaf qui y fera ses débuts, du théâtre comme Raquel Meller, et du cirque comme Dame Barbette. Une nouvelle faillte, sans doute due à une mauvaise gestion affectera à nouveau l'" Alhambra de Paris " qui passera alors sous direction franco-allemande (Kurt Robitcheck, un cabaretier berlinois ayant fui le nazisme et Yves Bizos qui venait de " Bobino ") mettront alors en valeur la toute jeune chanteuse Mireille, l'acteur Jean Cocteau. En 1936, lors des grandes grèves du " Front populaire " qui n'épargnera pas l'établissement, une reprise en mains par un tandem associant les communistes Louis Aragon et Jean-Paul Le Chanois, l'"Alhambra ", alors rebaptisé " Théâtre du Peule et de la Résistance ", deviendra le temple de l'idéologie théâtrale socialiste et universelle, sa scène recevant de nombreux artistes de tous les domaines comme l'écrivain Romain Rolland, les peintres Pablo Picasso qui réalisera le rideau de scène, Léger, Pignon, Matisse, etc..., les musiciens Darius Milhaud, Arthur Honneger et bien d'autres. mais l'engouement ne sera que de courte durée et la salle fermera une fois de plus quelques mois plus tard. L'allemand Robitcheck reprendra les rênes en septembre 1936, propulsant celle qui deviendra une immense vedette, Edith Piaf. les programmes allaient alors être assurés par l'imprésario Audiffred au moins jusqu'en 1947 même si dans l'intervalle, de nouveaux dirigeants avaient investi le lieu. Inutile de dire que le music-hall allait, dès lors, avoir la part belle avec des vedettes comme Fernandel, Ray Ventura, Fred Mella, Cécile Sorel, Bourvil, Raymond Souplex et Jane Sourza, Georgette Plana, Georges Guétary. Je ne puis tous les citer ici tant ils furent nombreux. Ce fut à cette époque aussi qu'une d'une nouvelle revue de Mistinguett vit le jour.... Grâce à un " Cinémascope ", des films étaient également projetés alternant avec les attractions. Le monde du cirque, flirtant toujours autant avec le music-hall, était également bien représenté avec notamment Achille Zavatta et puis aussi une certaine Sarah Caryth que l'on put applaudir en 1939. Veuve depuis 1932 de l'ex aviateur devenu dompteur, Gino Spiny, et désormais remariée à André Rancy, cette dernière présentera, parmi les attractions d'" entre films ", un tableau audacieux et pittoresque de tête à tête, plein de charme et de volupté, avec une lionne, sans serpent autour du cou, ni danse associée. Après la Libération, Beauvais, le nouveau directeur, tenta de séduire le public avec des opérettes comme la " Bonne Hôtesse " avec Coquatrix et Bourvil, " Le Maharadjah " ou bien " Le Chevalier Bayard ", avec Henri Salvador, Yves Montand et Ludmila Tchérina. La formule s'essouffla rapidement et Beauvais prit alors pour associés Jane Breteau et Pierre Andrieu. Leur détermination redonnera à l'" Alhambra " ses lettres de noblesse en en faisant de la salle un immense " ciné-music-hall " populaire. Des contrats d'exclusivité avec la télévision naissante et la radio permirent la retransmission d'émissions telles " En Direct de l'Alhambra , " La Joie de Vivre " d'Henri Spade ou " Disco-Parade " de Jean Nohain, Jacqueline Joubert et Jean Fontaine. Andrieu ramènera également des Etats Unis le boxeur Ray Sugar Robinson, le jazzman Harry James, faisant de l'établissement une sorte de temple du jazz qui accueillera encore Stéphane Grapelli, Sydney Bechet, Jacques Hélian, Oscar Peterson, Claude Luter, Claude Bolling, etc.... Andrieu quitta brutalement l'" Alhambra ". Jane Breteau, refusant de s'associer à Bruno Coquatrix, embauchera René Gola, un jeune directeur technique et beau-frère de Georges Ulmer qui fera de l'" Alhambra " une salle " 100% music-hall ". Cette dernière accueillera alors une pléiade de vedettes allant de Patachou à Fernand Sardou, en passant par Tino Rossi, Dario Moreno, Sim, Lucienne Boyer, Mick Micheyl, Mouloudji, etc.... J'en passe et des meilleurs. A la suite d'une rencontre avec Maurice Chevalier revenant des Etats Unis, une nouvelle revue sera montée en son honneur. Ce fut à ce moment que l'établissement sera rebaptisé " Alhambra Maurice Chevalier ". Avec " Bobino " et l'" Olympia ", il deviendra le troisième music-hall parisien le plus populaire de France, devenu incontournable. Par la taille exceptionnelle de sa scène, seuls les plus grands talents pouvaient en tout cas s'imposer. Ce sera le cas de Brel, d'Aznavour cinq fois, de Johnny Hallyday ou encore le jeune Brassens. Le gigantisme de cette scène permettra aussi la présentation de spectacles grandioses de danses (les choeurs de l'Armée Rouge, le ballet ukrainien, le ballet hongrois, " West Side Story ", etc....), des comédies musicales comme " Les Plumes Rouges " avec Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault, Claudine Coster, Sophie Daumier, Laurence Badie, jouée pas moins de trois cent fois. Le répertoire classique y alternait encore avec le rock américain. Le jazz résistait toujours. Des Galas divers comme celui de l'" UNICEF " rivalisaient avec des fééries sur glace tel " Holiday on Ice ". Ce fut d'ailleurs par ce dernier type de spectacle, " Blanche Neige et les Sept Nains " que l'" Alhambra " fermera définitivement ses portes en mai 1967 à la mort soudaine de sa directrice.....
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