Evoquer le quotidien " La Voix du Nord ", c'est d'abord évoquer Jean Houcke, originaire d'Hazebrouck, qui avait intégré la rédaction du journal en 1948 tandis que son père Jules, conseiller général et maire de Nieppe, commune voisine d'Armentières, en avait été le fondateur quatre années plus tôt après avoir dirigé les dernières publications clandestines du mouvement résistant " Voix du Nord ". Vous l'aurez compris, ce Jean Houcke là n'avait rien à voir avec son homonyme circassien même si les méandres de la généalogie nous réservent parfois quelques surprises.
Pourquoi consacrer une semaine entière de la " Mémoire des Rancy " au quotidien " La Voix du Nord " ? Eh bien déjà parce qu'il vient de fêter ses quatre vingt ans et ensuite parce que l'on sait qu'il y eût durant de nombreuses années un lien très fort entre celui-ci et le cirque :
A l'approche de la 36ème édition de la " Grande Fête Lilloise du Cirque ", comment ne pas revenir un instant sur son prédécesseur, le fameux " Cirque de la Voix du Nord ", créé en 1956 par Jean-Pierre Panir, lequel fut bien sûr également à l'origine de l'actuelle manifestation annuelle tant appréciée des circophiles, mais aussi du public tout-venant, et dont l'aura a désormais largement dépassée les frontières du Nord-Pas-de-Calais.
Si aucun Rancy ne participa jamais aux spectacles du " Cirque de la Voix du Nord ", de nombreux artistes vus chez " Rancy " furent en revanche engagés sur la piste lilloise, soit avant, soit après leur passage chez ces derniers. On citera ainsi, par ordre de disciplines, Charly Baumann, Dieter Farell, Jacky Althoff, Kemal et Edda, Georgika Kobann, Marry Chipperfield, James Carrington, Catherine Blankaert, pour les dresseurs de fauves, la cavalerie Mullens, les Carolis, les Bratuchin, Dany César, Yasmine Smart, en ce qui concerne les attractions équestres, Joseph Gartner et Banda Vidane avec leurs éléphants, le Capitaine Danion, Evelyn Hans, Teddy Lorent, avec leurs " petits animaux ", et puis les aériens Alizés, Zemgannos, Gérard Edon, les Palacys, les Antarès, les Gilsons, les funambules Diables Blancs, les sauteurs à la bascule Brandt et Biros, les acrobates Johnny Gray, Yong Brothers, Fattini, Michellettys, Brockways, etc...., et aussi des clowns bien sûr à l'image de Galetti, Pastis, Dario et Mimile, les French, les Chikys, les Chabris, sans oublier les célèbres Barios et Achille Zavatta.
Quatre cent numéros environ furent ainsi engagés entre 1956 et 1986, date de la dernière édition, soit trente années au total de " Cirque de la Voix du Nord ", dont il me paraît bon de rappeler ici les circonstances de la création. Ce fut en 1955 très précisément que, dans le cadre du premier " Salon du Confort Ménager de la Femme et de l'Enfant ", organisé à la " Foire Commerciale " de Lille, le quotidien " La Voix du Nord confia à Jean-Pierre Panir, le soin de composer et de présenter en permanence de petits spectacles. Messieurs Bellengier et Carton, deux responsables du journal, étaient alors responsables de cette organisation. Un simple podium devant lequel les spectateurs étaient debout, était alors installé au centre du " Palais des Sports ". Afin de bien préciser la nature du spectacle, un calicot sur lequel était inscrit le mot " cirque", avait été placé au-dessus du podium. Cette initiative malencontreuse mît de fort mauvaise humeur les organisateurs qui demandèrent à Jean-Pierre Panir de le retirer au plus vite, la " Voix du Nord " n'étant pas un cirque ! Malgré ce malentendu et vu le succès de l'animation, la direction du journal décida de la renouveler pour 1956. Cette année-la, Monsieur Carton ayant été promu grand reporter, ce fut à un certain Monsieur Screder, directeur administratif du quotidien, que fut alors confiée l'organisation de l'événement. Connaissant un peu les affinités de ce dernier pour les exploits acrobatiques des gymnastes - il était lui-même militant actif d'une importante société de gymnastique lilloise - Panir pensa que le cirque ne lui serait certainement pas indifférent. Aussi, il lui suggéra qu'un cirque conçu pour les enfants, serait probablement bien accueilli par les lecteurs du journal. Il prêcha donc un convaincu, et le projet fut rapidement accepté. Il revint à la charge avec son calicot qui cette fois, opérait le nom de" Cirque des Jeunes ". En quelques années, ce dernier fit l'unanimité des spectateurs qui vinrent du Nord, du Pas-de-Calais, mais aussi des départements environnants et parfois de plus loin, ainsi que de Belgique. Entre-temps, quelques améliorations techniques avaient été apportées, une piste surélevée, un promontoire circulaires pour les girls, des dispositifs scéniques et un éclairage sans cesse perfectionné, etc....La direction de la " Voix du Nord ", convaincue de l'impact que avoir cet événement sur les ventes du journal, donna à l'imprésario lillois les moyens d'engager les attractions les plus réputées du moment. Les 4000 places du " Palais des Sports " de la Foire de Lille ", toutes numérotées, étaient chaque année prises d'assaut, à tel point que les représentations, toujours plus nombreuses, accueillirent en 1965, jusqu'à 50000 spectateurs de tous âges. Face à ce succès, et à la demande du PDG du quotidien, Monsieur René Decock, on abandonna alors l'appellation d'origine et l'on en vient tout simplement à celle de " Cirque de la Voix du Nord ". En 1980, pour son 25ème anniversaire, le seuil des 100000 spectateurs était franchi. Malheureusement, cinq années plus tard, le " Palais des Sports ", converti en salle de concert pour orchestres rock, ne convenait plus. Aussi, la direction de la foire et celle du journal, soucieux de maintenir le cirque dans son enceinte, abritèrent celui-ci dans un hall hélas trop petit, trop bas, dépourvu de gradins, bref, incompatible avec ce spectacle. En 1987, en l'absence d'autre salle disponible, et tandis que les dirigeants du quotidien avaient pourtant donné à Jean-Pierre Panir le feu vert pour engager de nouvelles attractions, et que des investissements devaient être envisagés afin de modifier la structure du hall, la récupération de celui-ci à d'autres fins, mirent à mal les chances de poursuite du " Cirque de la Voix du Nord " qui avait donc vécu l'année précédente sa dernière saison. Les noms de Thérèse Allard pour les ballets, de Janine Marly pour la présentation du spectacle, de Perno en temps qu'auguste de soirée, de Roland Ingelaere comme chef d'orchestre, et bien sûr de Jean-Pierre Panir, ne résonnèrent désormais plus chaque automne du côté de la " Foire Internationale de Lille ", mais certains d'entre eux réapparaîtront du côté du " Palais Rameau ". On en connaît la suite.
Une dernière précision, le " Cirque de la Voix du Nord " était totalement gratuit pour le public, puisque financé exclusivement par la société gérant le grand quotidien régional. Cela n'empêcha pas les directeurs de cirques itinérants de le considérer non pas comme un concurrent, mais au contraire comme un allié.
" Ce cirque ne nous concurrence pas, il prépare de futurs clients et redonne le goût d'aller au cirque ", disait de lui Henry Rancy, une position que ne partageait pas forcément sa fille sabine. Un bien bel hommage en tout cas à ce qui, trente années durant, fut une véritable institution lilloise, et à son initiateur, Jean-Pierre Panir, que les organisateurs de l'actuelle " Grande Fête Lilloise du Cirque " oublient peut-être un peu vite aujourd'hui, car ils ne doivent pas oublier c'est grâce à lui qu'ils sont là....
Espérons que les 70 années de cirque à Lille fêtées cette année par Thierry Fééry viendront réparer cet oubli.
Et puis, bien entendu, quel qu'il fut, quand un cirque itinérant, grand ou plus petit, visitait la région, le quotidien n'était jamais avare d'articles à son sujet, des articles objectifs, souvent élogieux quand c'était justifié, mais qui savaient être plus critiques quand il le fallait, en tout cas, toujours sans concession. Il faut dire que " La Voix du Nord ", comme beaucoup d'autres organes de presse, bénéficiait de la présence en sa rédaction de journalistes spécialisés. Je pense tout particulièrement au regretté Marcel Dhénin sur lequel je reviendrai prochainement.
" Amar ", " Bouglione, " Grüss ", " Pinder " et bien d'autres eurent ainsi les honneurs du quotidien nordiste. Ce fut évidemment aussi le cas de " Rancy ". Il faut dire que la fidélité presque sans faille de la famille Rancy au Nord-Pas-de-Calais, et tout particulièrement à la ville de Lille, fit que celle-ci eût toujours une bonne place en son sein, y compris lorsque le cirque " Carrington ", dont on connait les attaches à la région, en reprit les rênes en 1979. Vous aurez remarqué que je mettais tout cela au passé car, depuis quelques années maintenant, hormis bien entendu les pavés voire les pages publicitaires complètes, les articles destinés au cirque se font plus rares, souvent écrits par de jeunes journalistes certes brillants, mais non spécialisés, sans grand esprit critique, qui ne font que répéter les informations recueillies auprès de la direction des cirques, lesquels, il faut bien le dire, se font d'ailleurs de plus en plus rares dans le pays, et peut-être un peu plus encore dans la région des Hauts de France. En revanche, on évoque plus souvent les déboires de tel ou tel cirque pour trouver une place de stationnement ou, pire, parce que celle-ci s'avère illégale, ou l'on dénigre la présence d'animaux sauvages qui, de toute façon, sont en voie de disparition dans les cirques.
Mais, remontons dans le temps et revenons à " Rancy " et à ses liens avec " La Voix du Nord ".... Depuis 1945, le nom a donc eu tour à tour, au temps de Tilly et Henry puis de Sabine, les honneurs du journal grâce aux nombreux articles écrits par des journalistes chevronnés. Je citais Marcel Dhénin, mais il ne fut pas le seul, loin de là. On pourrait en dire de même de " Carrington " et de " Rancy-Carrington ", puis du " Cirque Albert Rancy " de Claudy Renotte. James Carrington et ce dernier furent d'ailleurs des vedettes de la tournée 1975 - l'année où on les vit également chez Sabine - du podium d'été du quotidien. A l'inverse, les Rancy rendirent honneur à " La Voix ", comme on l'appelle familièrement dans la région, de par les visites au siège, bien que la tradition sembla moins ancrée que dans d'autres régions, comme la Picardie par exemple. Une autre façon de rendre hommage au quotidien fut encore de participer annuellement au " Noël des Déshérités " en effectuant un don, témoin de la gentillesse proverbiale des Rancy et tout spécialement de Tilly et Henry. Voilà les quatre éléments que nous aborderons durant cette semaine, et, une fois n'est pas coutume, à rebours....