On a dit de lui qu'il était la huitième merveille du monde. Lui, c'est le " Nouveau Cirque " de la Rue Saint-Honoré, fondé par un certain Joseph Oller, entrepreneur de spectacles particulièrement actif. Pourquoi évoquer cet établissement dans la " Mémoire des Rancy ", alors qu'aucun Rancy n'a jamais figuré dans aucun des ses programmes. Hé bien, ce fut en réalité par le biais d'une autre dynastie, proche de celle des Rancy, que l'on doit ce lien, je veux parler de celle des Houcke. Au début du 20ème siècle, Hippolyte Houcke dirigea en effet le " Nouveau Cirque ", tandis que ses trois neveux, Lucien Jules, Eugène Hippolyte et Jean Théodore, qui portaient encore le nom de Léonard, effectuaient sur sa piste leur célèbre numéro de jockey. On raconte même que ce dernier, marié à Marcelle Rancy, en prit également les rênes sur le plan artistique, mais ce, d'une façon très éphémère. C'était entre septembre 1906 et mai 1907.
Curieuse épopée que celle de cet établissement qui fut créé juste après l'ouverture de la " Grande Piscine Rochechouart ". Oller eût alors l'idée d'en fonder une autre, plus originale, en plein quartier de luxe et d'élégance, tout près de la Place Vendôme et de la Rue Royale, et construite avec tous les raffinements que permettaient tous les progrès de la science, de l'art et de l'industrie. L'endroit qu'il avait choisi avait déjà une longue histoire. Ce fut là que Franconi avait transporté en 1807 l'amphithéâtre que son père avait installé provisoirement l'année précédente dans l'ancien couvent des Capucins, démoli plus tard pour le percement de la Rue de la Paix. Le même local avait été également occupé par l'" Ecole Royale d'Equitation " avant d'être transformé vers 1833 en église, avant que le célèbre chef d'orchestre Musard n'y dirige ses populaires concerts d'hiver. Aux concerts et bals Musard, succédèrent les " Concerts Valentino " qui durèrent jusqu'en 1841. Plus tard, ces derniers qui connurent des hauts et des bas, devinrent une sorte de succursale d'hiver du " Bal Mabille ". La salle était immense et le plafond soutenu par d'imposantes colonnes. L'orchestre occupait une tribune au milieu, et toutes les célébrités chorégraphiques de l'époque s'y produisirent, de la Reine Pomaré à la Céleste Mogador, en passant par Maria et Clara, et tant d'autres évoquées et chantées par les poètes. En 1881, on installa en ce lieu le " Panorama de Reichoffen ". La façade, le vestibule et le grand escalier avaient été construits par Charles Garnier, l'architecte de l'" Opéra de Paris ". Joseph Oller eut soin de conserver tout cela lorsqu'il installa ses " Arènes Nautiques " dans l'édifice. Il avait donné ce nom à son nouvel établissement sur les conseils de son ami Victorien Sardou, mais il le changea rapidement pour celui de " Nouveau Cirque ", sa grande idée étant d'en faire un cirque en hiver et une piscine en été. Les gradins étaient pourvus de fauteuils à bascule, système adopté trente-cinq ans plus tard par le " Théâtre des Variétés " comme s'il s'agissait d'une innovation. Ces fauteuils étaient montés sur un support en métal, et pouvaient de ce fait être enlevés lorsque la saison du cirque était achevée. Toute la surface qui entourait la piscine pouvait ainsi rester libre. Sur les côtés, c'est-à-dire à l'emplacement des gradins, les baigneurs ne rencontraient qu'une faible profondeur, tandis que dans la partie centrale, espace limité par la piste de 13,50 de diamètre et à laquelle on accédait par une passerelle, la profondeur augmentait. Sur un côté du bâtiment, il y avait aussi une salle de sudation et une autre pour les bains de vapeur. Le mécanisme compliqué qui permettait de faire monter et descendre la plate-forme du cirque à volonté, fut considérée par les contemporains comme une véritable merveille. Un piston d'ascenseur mû par la force hydraulique en était la pièce maîtresse. Il y avait d'autres dispositifs tout aussi ingénieux, comme celui qui effectuait le chauffage de la salle, ou cet autre qui maintenait l'eau de la piscine à une température constante. Tout ceci en faisait alors une installation unique au monde.
La soirée inaugurale du " Nouveau Cirque ", donnée le 12 février 1886, fut sensationnelle. La presse d'époque rapporte des échos de cet événement qualifié d'une beauté sans précédent dans les annales du cirque, spectacle jusqu'alors plutôt uniquement populaire. Ce soir-là, le public était en grande tenue. Les loges formant couronne au premier étage, tout comme le reste de la salle d'ailleurs, offraient un coup d'oeil éclatant. Parmi l'assistance, on remarquait le Duc et la Duchesse d'Uzès, Les Princes Troubetzkoï et de Sagan, la Marquise de Mornay, le Marquis de la Rochefoucauld, des ambassadeurs, des politiciens, des gens de lettre, des artistes, bref rien que du beau monde. Les toilettes, les bijoux, la beauté des femmes, en un tel décor fait de glaces et de lustres, abondance d'or aux moulures et de pourpre dans les tapisseries, faisait mouche. Lorsqu'en seconde partie du programme, la piste se transformait en piscine, la salle entière se levait et une nouvelle et interminable ovation éclatait. L'idée d'Oller fut qualifiée de géniale. Ce fut à ce moment que l'on utilisa l'expression de huitième merveille du monde par laquelle j'introduisai cet article.... Le " Nouveau Cirque " devint rapidement le rendez-vous du monde ultra-chic. Les femmes élégantes, celles qui allaient s'exhiber aux courses de chevaux et aux grandes premières, ne manquaient jamais les représentations extraordinaires du samedi. Le café, situé au premier étage, était bondé, tels les plus en vogue de l'époque. En plus des attractions équestres et autres qui composaient la première moitié du spectacle, constamment renouvelé, la deuxième était réservée à une pantomime en deux ou trois tableaux, puis, la piste, occupée un peu plus tôt par les chevaux, et les éléphants, se transformait en un bassin où évoluaient bateaux et nageurs des deux sexes. Les plus remarquables de ces représentations dont on peut retrouver quelques affiches dans le très beau livre de Pascal Jacob " Paris en Pistes ", eurent pour nom " La Grenouillère ", " La Foire de Séville ", " Le Carnaval de Venise ", " Le Roi Dagobert ", " Garden-Party " ou encore " Don Quichotte ", pour ne citer que quelques-unes d'entre elles. Dans ces pantomimes, on pouvait admirer les trucs spectaculaires les plus originaux pour l'époque, tels fontaines lumineuses, pluie artificielle, éclairage du fond de la piscine, décor transparent en toile métallique, etc.... On y joua aussi des revues nautiques équestres, comme " A Fond de Train ", "Paris-Clown " ou " Paris au Galop ".... Le " Nouveau Cirque " se distingua par la composition de ses troupes et par la qualité des artistes qui défilèrent sur sa piste et dans sa piscine. On put y voir Footitt et Chocolat, Tony Grice, Antonet et Béby, les Fratellini, Billy Hayden, Antonio Lozano, Médrano, les Frères Conrad, William Price, Pierantoni et Salamontes, les Frères Albano, Elvira Guerra, Adelina Price, les Frediani, les Dario, Jeanne Pérez et tant d'autres que je ne peux citer tant ils furent nombreux. Seuls les Rancy, aristocrates du cirque, manquèrent à l'appel sur la piste de cet établissement pourtant lui aussi très aristocratique. Toutes les grandes stars de la piste voulurent " passer " au " Nouveau Cirque ", et pour la plupart d'entre elles, il s'agissait d'une véritable consécration.... Pendant quelques années, la salle devint un music-hall, puis un amphithéâtre. En 1921, enrichi d'une importante ménagerie, l'établissement reprit sa vraie physionomie, celle d'un cirque. Entre les exhibitions des animaux, passaient des numéros de music-hall, tels le fameux " cake-walk ". Dans son bassin, évoluèrent des crocodiles, des phoques et d'autres animaux. Le " Nouveau Cirque " enregistra aussi le passage, sur ses planches, de quelques-uns des artistes qui avaient triomphé dans d'autres établissements dirigés par Joseph Oller. Le magnifique local était régulièrement demandé pour y célébrer des fêtes mondaines, des manifestations artistiques et sportives, des galas de bienfaisance. Antoine y répéta une scène de cirque avant la première des " Frères Zemganno " d'Edmond de Goncourt. Le " Nouveau Cirque " fut fermé définitivement le 18 avril 1926.... Lors de sa fermeture, la presse parisienne se fit l'interprète du chagrin général que produisit la disparition d'une telle salle qui avait marqué toute une époque par sa somptuosité, le faste de ses représentations, l'originalité de son mécanisme. Elle commenta avec mélancolie les quarante ans de l'établissement et évoqua son créateur, Joseph Oller, le fils de l'industrieuse ville de Terrassa, le " Napoléon des attractions ", comme l'appela si originalement Maurice Joyant....
Cirque. N comme Nouveau Cirque : le " Napoléon des attractions " (22 juillet 2016)
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