Au music-hall, lorsque paraissait le numéro d'Alfonso Sayton, le décor était exotique à souhait, avec forêt, lianes et même fleuve. Au cirque, comme ce fut le cas chez Alphonse Rancy en 1930, il était plus sommaire, espace scénique oblige. Posé à la barrière et fermant le cercle de sciure, il représentait une simple végétation tropicale. Sous le clair de lune verdâtre que faisaient les projecteurs, on voyait sortir un énorme crocodile à la carapace écailleuse, balançant sa tête hideuse, puis un tout petit de moins d'un mètre dont l'aspect et l'allure semblaient écarter toute possibilité de supercherie. Un autre crocodile, moins gros cependant que le premier, franchissait le rideau de lianes, et s'avançait sur la piste. Puis, un autre, le plus petit de tous, qui, comme le second, ne laissait guère de doute sur sa sincérité. Un chasseur tout de blanc vêtu et coiffé du casque colonial, paraissait au bord de la piste et tirait un coup de fusil sur le plus gros des sauriens qui, simulant des contorsions causées par une blessure, se mettait alors à exécuter un répertoire singulier des flexions dorsales et d'équilibres en souplesse, auquel prenait part l'aîné de ses compagnons. Les petits restaient à peu près immobiles ou se traînaient avec lenteur autour de leurs chefs de file. Nouveau coup de feu du chasseur blanc, et les deux petits crocodiles se retournaient le ventre en l'air et semblaient morts. L'obscurité totale était alors faite sous le chapiteau et, au bout d'un court instant, la pleine lumière revenue montrait, à peine dégagés de la peau des gros crocodiles étendue à leurs pieds, deus contorsionnistes en maillot blanc, un homme adulte et un garçon de seize ou dix-sept ans, qui exécutaient ensuite un excellent et varié répertoire comprenant une très originale série de groupes disloqués, de souplesses et d'équilibres. Et les deux petits crocodiles ? Ils étaient toujours étendus sur le sol et simulaient si bien l'immobilité de la mort, se laissant si bien manier, inertes et flasques, quand le chasseur venait les ramasser, que l'on n'était pas peu surpris de ce dressage miraculeux d'une espèce animale que, de de l'avis de l'avis de tous les spécialistes, se montrait assez peu douée et difficilement éducable. Mais, le chasseur saisissait le plus grand des deux, tirait une sorte de lacet, et retirait de la carapace largement ouverte un un joil chien basset qui filait gaillardement vers les coulisses. Même opération pour le second petit crocodile qui était également un basset, plus petit encore.Le réglage parfait de cette présentation ingénieuse, le dressage des deux chiens qui jouaient si consciencieusement leur rôle, l'imitation des grands crocodiles par les deux acrobates humains, suffisaient à classer ce numéro parmi les plus curieux de la spécialité. Le travail des contorsionnistes n'était pas moins digne d'éloges : il comprenait des combinaisons très personnelles et très méritoires, dont quelques-unes, dit-on, étaient même un peu pénibles à voir. La flexion des reins du jeune disloqué donnait l'impression d'une cassure assez angoissante. Mais, la plupart des groupes effectués avec une correction classique, dans la plus extrême fantaisie, étaient simplement inquiétants sans cesser d'être harmonieux. La troupe d'Alfonso Sayton, qui compta jusqu'à sept membres, constituait une attraction de tout premier ordre au cours de laquelle le costume, mais également la mise en scène et le décor, prenaient une importance de tout premier plan.
Demain, " la semaine se termine. Une autre commence ". Autrement dit, un document en lien avec le thème de la semaine qui s'achève et qui inspirera la suivante